Histoire des origines ou comment devient-on Steven Spielberg ?
Avec The Fabelmans, Spielberg a réalisé un film sur la naissance de sa vocation de cinéaste. Il ne s’agit pas d’autobiographie pure mais bel et bien de tirer le fil de la mémoire pour revenir aux étapes essentielles qui ont fait de lui le réalisateur prolifique et talentueux que l’on connaît.
Le film commence donc avec sa rencontre tumultueuse avec le cinéma : il a sept ans environ et ne veut pas du tout aller voir Le Plus Grand Chapiteau du monde avec ses parents. On lui vend du rêve mais l’enfant rappelle à sa mère que souvent les rêves sont terrifiants. Finalement, il verra le film et trouvera ses craintes justifiées. L’enfant restera sidéré pendant un bon moment par la scène d’un train qui percute une voiture et dont les wagons volent et se brisent en retombant au sol. Pour apprivoiser sa peur, l’enfant aura l’idée de recréer la scène au moyen d’un train électrique qu’il commande et sa mère lui soufflera l’idée de la filmer avec la caméra de son père.
Premier acte de la genèse de Spielberg, le film continuera d’évoquer ses premiers essais où il embauche ses sœurs costumées en momies, ses potes en cow boys, comment il devient le cinéaste de la famille ou de ses écoles, jusqu’à sa rencontre quand il a vingt ans avec l’immense John Ford. A movie maker is born !
Toutes les scènes, ou presque selon Spielberg, sont autobiographiques mais toutes coïncident surtout pour nous faire comprendre comment les accidents de la vie vont faire de lui un petit surdoué de la caméra. Apprivoiser la peur, rester loyal à une mère fantasque et à leur goût commun pour l’art, raconter des fables pour avoir le contrôle sur sa vie car cette dernière se charge parfois de vous faire vivre dans une fable à votre insu. Les héros du film s’appellent d’ailleurs Fabelman et non Spielberg, fabel-mann, l’homme de la fable, ou l’homme fabuleux, comme on veut.
En effet, le jeune Sam va percer le secret de sa mère et découvrir la fable dans laquelle elle fait vivre son petit monde depuis toujours. Et cette terrible révélation se fait à travers un petit film de vacances que l’adolescent a tourné lors d’un séjour en forêt. Se pose alors un dilemme pour le jeune homme : faut-il continuer à filmer pour prendre sa revanche sur la vie, aller au bout de sa passion ? De plus, comment ne pas finir par raconter des histoires quand une mère que l’on admire se révèle être une grande actrice dans le réel ! Ou bien cesser de filmer à jamais ? car les images ont un terrible pouvoir, celui de révéler ce qui doit rester cacher dans le fond des coeurs. Il y aurait tout un article à consacrer à la mère qui est morte en 2017, âgée de 97 ans, et qui est celle qui lui a ouvert les portes du rêve et de la passion pour l'art.
Le film est donc à la fois un hommage à la puissance des images sur nos vies et une confession de Spielberg sur sa vocation liée à l’histoire familiale. La réalisation est impeccable, la photographie du film très belle, je retiendrai quelques images saisissantes, une scène de film captée dans une main d’enfant, un gros plan sur le visage de la mère qui cesse de faire semblant. Film émouvant sans pathos, ni chantage aux émotions, le réalisateur ne juge jamais ses personnages, il rend hommage à leur profonde humanité. Le film est aussi monté habilement et bien rythmé, on ne sent pas du tout passer les deux heures et demie. Des transitions inventives pour marquer les ellipses viennent nous rappeler que malgré l’aspect divertissant de ce long-métrage qui est souvent très drôle, même si j’étais quasiment la seule à rire dans la salle (!) Spielberg est un réel virtuose. Le casting est épatant, les jeunes acteurs et actrices virevoltent, ceux qui jouent les parents le font avec une grande finesse et sensibilité, mention spéciale à Michelle Williams qui joue le rôle de la mère sans faire tomber le personnage dans les clichés sur les femmes aliénées.
Spielberg a réussi son film d’apprentissage sur ses jeunes années, un peu comme Truffaut l’avait fait avec les Quatre cents coups. Et si l’on sait combien Spielberg l’admire, on se plaît à imaginer un dialogue où Sam Fabelman aurait de belles discussions avec Antoine Doinel, échangeant sur leurs amours des femmes, du cinéma, et de l’art en général.
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